Extrait du rapport d’information de la Commission des lois de l’Assemblée nationale sur la reforme de la justice commerciale
Agnès Bricard, Présidente d’Honneur du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, à l’origine de l’assurance santé entreprise s’oppose vivement au point b) ci-dessous du rapport d’information, qui vise à imposer à l’expert-comptable un devoir d’alerte en cas de constatation chez ses clients entreprises de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation et à transmettre copie de cette information au Président du Tribunal de Commerce.
- En effet un expert-comptable est le conseil de l’entreprise et à ce titre est tenu à un devoir de confidentialité incompatible avec toute transmission d’information à un tiers.
- Cela pousserait les entreprises à chercher un autre conseiller qui pourrait ne pas avoir les compétences et donner la sécurité apportée par l’expert-comptable, ceci uniquement pour éviter une révélation au Président du Tribunal de Commerce.
- Des acteurs tels que les commissaires aux comptes pour les sociétés et les organismes de gestion agréés (CGA et AGA) pour les entreprises individuelles sont plus légitimes pour assurer ce devoir d’alerte.
Extrait du rapport d’information :
« b) Mettre un devoir d’alerte à la charge des experts-comptables
Les experts-comptables s’investissent de plus en plus dans les dispositifs favorisant la prévention des difficultés des entreprises.
Vos rapporteurs encouragent les initiatives telles que l’« assurance santé-entreprise » (127), mise en œuvre par le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables (CSOEC) en partenariat avec le Conseil national des Barreaux (CNB), le Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et la Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF) (128).
Afin de favoriser le recours aux dispositifs de prévention des difficultés des entreprises, cette assurance permet la prise en charge, par un assureur, des honoraires des experts-comptables et des avocats de l’entreprise en difficulté (129), mais aussi ceux des mandataires ad hoc ou des conciliateurs (130).
Par exemple, pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 1 million d’euros, l’« assurance santé-entreprise » couvre les honoraires des experts intervenant dans le cadre des dispositifs de prévention dans la limite de 50 000 euros, moyennant le paiement d’une prime d’assurance dont le montant annuel s’élève à 530 euros. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 5 millions d’euros, le montant de garantie des honoraires s’élève à 50 000 euros et celui de la prime d’assurance à 845 euros par an, et pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 20 millions d’euros, ces montants sont respectivement de 30 000 euros et 1 190 euros.
L’« assurance santé-entreprise » est déclenchée :
- soit en cas de mise en œuvre d’une alerte légale à l’initiative du commissaire aux comptes, des actionnaires ou associés, du comité d’entreprise ou du président du tribunal de commerce ;
- soit en cas d’actionnement du Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP) par l’entreprise ;
- soit en cas de saisine de la Commission des chefs des services financiers (CCSF) par l’entreprise ;
- soit en cas d’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc, de conciliation ou de sauvergarde.
Ce dispositif d’« assurance santé-entreprise », qui permet l’accès à la prévention, mérite d’être promu.
Toutefois, cette implication pourrait être encore plus poussée si un devoir d’alerte similaire à celui qui pèse sur les commissaires aux comptes était mis à la charge des experts-comptables.
L’idée n’est pas nouvelle : elle avait été suggérée dans le cadre des débats relatifs à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (131). À l’époque, le député Xavier de Roux, rapporteur du texte de loi, expliquait que « dans la perspective d’une préservation des entreprises et de leurs emplois, l’expert-comptable pourrait […] être appelé à jouer un rôle plus actif vis-à-vis du président du tribunal dans l’exercice de sa mission de détection des difficultés, par la définition d’une forme de devoir d’alerte analogue à celui qui s’impose aux commissaires aux comptes. Une telle orientation serait d’autant plus justifiée que l’expert-comptable, pour les plus petites entreprises, est le premier informé des difficultés prévisibles que traduisent les comptes et les états prévisionnels de financement que son client lui demande souvent d’élaborer » (132). Tirant les conséquences de ses observations, M. Xavier de Roux avait déposé un amendement qui proposait de compléter le texte de l’article L. 611-2 du code de commerce par deux phrases prévoyant que l’expert-comptable d’une personne morale dont les comptes ne sont pas certifiés par un commissaire aux comptes devait informer les dirigeants de cette personne morale des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation et transmettre copie de cette information au président du tribunal compétent. De son point de vue, si l’expert-comptable devait être investi d’un devoir d’alerte analogue à celui du commissaire aux comptes, le formalisme de cette alerte devait être plus simple et plus souple que celui prévu pour l’alerte du commissaire aux comptes, afin de tenir compte de la nature juridique et de la taille des entreprises auprès desquelles intervient l’expert-comptable. La proposition de notre ancien collègue Xavier de Roux ne s’est malheureusement pas retrouvée dans le texte adopté.
Lors de la table ronde qui a réuni des spécialistes de la justice consulaire, le 12 février dernier, M. Xavier de Roux a de nouveau appelé le législateur à confier une mission d’alerte aux experts-comptables. Comme ce dernier, vos rapporteurs sont convaincus que les experts-comptables, qui sont les conseils de proximité des dirigeants des petites et moyennes entreprises, sont souvent les premiers à constater les difficultés, lorsqu’elles se traduisent dans les comptes de l’entreprise.
Vos rapporteurs sont donc favorables à ce que soit mis à la charge des experts-comptables un devoir d’alerte similaire à celui qui pèse sur les commissaires aux comptes.
Ainsi, lorsqu’il relèverait, à l’occasion de l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise, l’expert-comptable serait tenu d’en informer le président du conseil d’administration ou du directoire (s’il s’agit d’une société anonyme) ou le dirigeant (s’il s’agit d’une société commerciale constituée sous une autre forme).
À défaut de réponse sous quinze jours ou si cette réponse ne permettait pas d’être assuré de la continuité de l’exploitation, l’expert-comptable inviterait, par un écrit dont copie serait transmise au président du tribunal de commerce, le président du conseil d’administration ou le directoire ou le dirigeant (selon la forme sociale de l’entreprise), à faire délibérer sur les faits relevés soit le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, soit une assemblée générale (selon le cas).
Dans toutes les sociétés, qu’elles soient anonymes ou pas, si, à l’issue de la réunion de l’assemblée générale, l’expert-comptable constatait que les décisions prises ne permettaient pas d’assurer la continuité de l’exploitation, il informerait de ses démarches le président du tribunal de commerce et lui en communiquerait les résultats.
En contrepartie de ces nouvelles obligations, les experts-comptables pourraient se voir reconnaître un privilège au titre de leurs créances d’honoraires impayées.
c) Reconnaître aux experts-comptables un privilège au titre de leurs créances d’honoraires
Bien souvent, les experts-comptables cessent d’apporter leur soutien à l’entreprise en difficulté parce que leurs créances d’honoraires ne sont pas payées. Or ce départ est fort préjudiciable pour l’entreprise car il intervient au moment où elle a le plus besoin de ce professionnel du chiffre.
Au titre de leurs créances d’honoraires restées impayées et antérieures au jugement d’ouverture de la procédure collective, les experts-comptables devraient pouvoir bénéficier d’un privilège d’un rang équivalent à celui des frais de justice ou immédiatement inférieur à ce dernier.
En effet, les personnes qui, comme les avocats, les administrateurs ou les mandataires judiciaires, les experts, les huissiers ou encore les commissaires-priseurs, concourent à la procédure collective en aidant au recouvrement des créances ou à la poursuite de l’activité du débiteur, bénéficient d’un privilège général portant sur l’ensemble des meubles et des immeubles dudit débiteur (133). Ce privilège garantit le paiement de tous les frais engagés utilement pour la conservation, la liquidation ou la réalisation du patrimoine du débiteur.
Dans la hiérarchie des privilèges portant sur l’actif du débiteur, celui des frais de justice talonne le super-privilège des salariés au titre de leurs rémunérations de toute nature des soixante derniers jours de travail antérieurs au jugement d’ouverture de la procédure collective.
Comme M. Philippe Genin, avocat au Barreau de Lyon, ancien bâtonnier, vos rapporteurs pensent que l’octroi d’un privilège aux experts-comptables, pour la garantie du paiement de leurs créances d’honoraires impayées, est de nature à éviter que ces professionnels délaissent leur client au plus mauvais moment (134).
Vos rapporteurs estiment qu’il serait dans l’intérêt des débiteurs en procédure collective :
- soit de reconnaître aux experts-comptables, pour la garantie de leurs créances d’honoraires antérieures (voire aussi postérieures) au jugement d’ouverture, un privilège de rang équivalent ou immédiatement inférieur à celui du privilège des frais de justice ;
- soit d’étendre le bénéfice du privilège des frais de justice aux experts-comptables. »
127() Voir le document en annexe n° 7.
128() Sur ce dispositif, voir également : S. Belinguier, « L’assurance santé-entreprise : prévention et sauvegarde de l’entreprise en difficulté par la couverture des honoraires des “experts de crise” », Gazette du Palais, 22 janvier 2013, n° 22, p. 19.
129() La prise en charge des honoraires de ces professionnels nécessite toutefois un accord préalable.
130() La prise en charge des honoraires de ces experts ne nécessite pas d’accord préalable.
131() Ph. Roussel-Galle, D. Tricot, La réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, Litec, 2005, n° 40.
132() Rapport n° 2095 (XIIe législature) sur le projet de loi (n° 1596) de sauvegarde des entreprises, fait, au nom de la commission des Lois, par M. Xavier de Roux, député, pp. 54-55.
133() Articles 2331, 1°, et 2375, 1°, du code civil.
134() Table ronde réunissant des spécialistes de la justice consulaire, le 12 février 2013.
Les 30 propositions de la commission des lois pour réformer le statut, la formation et le rôle des acteurs de la justice commerciale
Proposition n° 1 : confier l’élection des juges consulaires directement aux membres des chambres de commerce et d’industrie et aux personnes inscrites sur le registre des chambres de métier.
Proposition n° 2 : intégrer au corps électoral et rendre éligibles aux fonctions de juges des tribunaux de commerce les chefs d’entreprises artisanale immatriculés au registre des métiers.
Proposition n° 3 : instituer des commissions près des cours d’appel formées de juges professionnels et de juges consulaires ayant pour mission d’évaluer la capacité des candidats aux fonctions de juges des tribunaux de commerce et d’établir des listes d’aptitude.
Proposition n° 4 : établir des incompatibilités entre les fonctions de juge d’un tribunal de commerce et l’exercice d’un mandat électif ou d’une activité entretenant des rapports réguliers avec le tribunal dans le cadre du fonctionnement de la justice commerciale.
Proposition n° 5 : permettre la saisine directe, par les justiciables, de la commission nationale de discipline et la doter d’un pouvoir autonome de sanction sur le modèle du Conseil supérieur de la magistrature.
Étoffer l’échelle des sanctions que la commission nationale de discipline peut prononcer.
Proposition n° 6 : favoriser l’établissement, l’actualisation régulière et la diffusion d’un véritable code déontologique qui décrive, de manière concrète, les conduites résultant des exigences éthiques, en particulier celles qui découlent de la spécificité de l’office de juge d’un tribunal de commerce.
Proposition n° 7 : assurer la diffusion et la solennité du serment que les juges des tribunaux de commerce doivent prêter en application de l’article L. 722-7 du code de commerce.
Proposition n° 8 : rendre obligatoire pour les juges des tribunaux de commerce l’établissement d’une déclaration d’intérêts à l’occasion de leur prise de fonction et du renouvellement de leur mandat.
Proposition n° 9 : créer pour les juges des tribunaux de commerce l’obligation d’attester de leur indépendance par une courte déclaration signée au début de chaque instance à laquelle ils prennent part.
Proposition n° 10 : désigner au sein de chaque tribunal de commerce un juge consulaire référent, chargé de remettre des avis aux présidents de ces juridictions et pouvant être consulté par les juges du tribunal de commerce sur toute question relative au respect des principes déontologiques.
Proposition n° 11 : rendre la formation initiale et continue obligatoire pour les juges consulaires.
Proposition n° 12 : indemniser, évaluer et sanctionner le suivi de la formation initiale et continue imposé aux juges consulaires.
Proposition n° 13 : aménager le statut de la magistrature pour permettre la création de filières de magistrats spécialisés dans les domaines économique et financier.
Proposition n° 14 : favoriser l’accès des juges consulaires au statut de magistrat professionnel par le biais du recrutement hors concours.
Proposition n° 15 : étendre, au niveau national, un dispositif de numéro vert permettant aux chefs d’entreprise de s’entretenir téléphoniquement, dans l’anonymat et le secret les plus complets, avec des experts de la prévention.
Proposition n° 16 : sanctionner civilement, voire pénalement, la violation de l’obligation de confidentialité prévue par l’article L. 611-15 du code de commerce pour le mandat ad hoc et la procédure de conciliation.
Proposition n° 17 : aménager les règles de publicité gouvernant le dépôt des comptes annuels de façon à prévenir leur exploitation par les concurrents.
Proposition n° 18 : renforcer les obligations d’information sur les indices de difficultés des entreprises qui pèsent sur les greffiers des tribunaux de commerce et étendre le champ de leurs bénéficiaires.
Proposition n° 19 : mettre, à la charge des experts-comptables, un devoir d’alerte similaire à celui qui pèse sur les commissaires aux comptes.
Reconnaître aux experts-comptables un privilège au titre de leurs créances d’honoraires antérieures (voire aussi postérieures) au jugement d’ouverture de la procédure collective.
Proposition n° 20 : clarifier le positionnement des commissaires au redressement productif en les dotant d’un statut précisant notamment leurs pouvoirs dans le cadre des procédures collectives.
Proposition n° 21 : envisager une rénovation du maillage territorial des tribunaux de commerce avec les deux objectifs d’efficacité et de pratiques impartiales.
Réaliser à cet effet et au préalable une étude d’impact et une large concertation.
Proposition n° 22 : garantir la présence du parquet dans le cadre des audiences et des procédures des tribunaux de commerce.
Proposition n° 23 : reconnaître aux parties aux litiges relevant du contentieux général le droit d’obtenir, en début de procédure, par une demande motivée, le renvoi vers un autre tribunal de commerce.
Proposition n° 24 : à titre subsidiaire, reconnaître, en matière de contentieux général, le droit des parties d’obtenir, sur demande motivée, que le jugement de leur affaire soit confié à une formation mixte composée d’un magistrat du siège et de juges du tribunal de commerce saisi, à raison de la valeur de l’objet du litige ou de sa particulière complexité technique.
Prévoir la possibilité que la formation de jugement soit présidée indifféremment par un magistrat ou un juge consulaire.
Proposition n° 25 : confier aux greffiers des juridictions commerciales la mission d’établir, au niveau national et à un rythme mensuel, des statistiques sur l’activité de leur juridiction en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises de façon à offrir aux autorités publiques une connaissance chiffrée plus fine de l’efficacité des dispositifs mis en œuvre.
Proposition n° 26 : faciliter la mise en œuvre de la procédure de renvoi prévue par l’article L. 662-2 du code de commerce en ouvrant la possibilité de la demander aux parties à la procédure collective, et notamment au débiteur.
Proposition n° 27 : créer des pôles spécialisés ayant compétence exclusive pour connaître des procédures collectives affectant des entreprises dont le total de bilan, le chiffre d’affaires hors taxe et le nombre moyen de salariés permanents dépassent certains seuils.
Proposition n° 28 : créer des formations de jugement spécialisées en matière de procédure collective et composées exclusivement de juges consulaires en première instance et exclusivement de magistrats professionnels en appel.
Proposition n° 28 bis : créer des formations de jugement spécialisées en matière de procédure collective et ayant une composition mixte, mêlant magistrats professionnels et juges consulaires, en première instance comme en appel.
Proposition n° 29 : obliger les administrateurs et mandataires judiciaires à fournir chaque année au président du tribunal de commerce et à la direction des services judiciaires du ministère de la Justice un rapport sur la performance économique de leurs diligences (gestion et délai moyen de conservation des fonds, etc.).
Proposition n° 30 : réformer les modalités de rémunération des administrateurs et des mandataires judiciaires afin de mieux les corréler au résultat obtenu.
Source : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1006.asp