« Les femmes au conseil d’administration, ça change quoi ? », conférence du 26 septembre 2011

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Intervention d’Agnès Bricard à la conférence « Les femmes au conseil d’administration, ça change quoi ? », le 26 septembre 2011

« Mon plaisir à intervenir à vos côtés est d’autant plus grand que nous avons conclu un accord avec l’IFA dont vous assumez le secrétariat général. Cela va peut-être de soi, mais mieux vaut le dire ! Pourquoi recommencer ce que les administrateurs ont très bien fait, c’est-à-dire des séminaires de formation ? Bien sûr, d’autres s’y sont lancés, comme l’a rapporté tout à l’heure Viviane de Beaufort parlant de l’Essec, mais je voudrais remercier l’IFA d’avoir été précurseur en ce domaine. Bravo car nous, experts-comptables, nous avons besoin de vos formations !

« Quel a été l’apport des experts-comptables ? Il est vrai qu’en me portant à la présidence de leur Ordre, c’est la première fois depuis sa création en 1945 que les experts-comptables ont mis à leur tête une femme. On peut se poser la question de savoir si on gère ainsi « des exceptions ». Je m’y refuse. Il ne s’agit pas de gérer « des exceptions », mais de tirer des enseignements de l’augmentation du nombre de femmes qui œuvrent aujourd’hui à un niveau décisionnaire. C’est le premier point important sur lequel je souhaiterais insister.

« Par exemple, l’université à laquelle je suis particulièrement attachée, dans la mesure où j’en suis moi-même issue, et dont j’assure chaque année depuis 10 ans les assemblées générales des agents comptables, manque cruellement de recteurs femmes. Je les cherche encore. Ce qui prouve que rien n’a changé et qu’il faut réellement créer un observatoire sur cette question. Nous, les femmes experts-comptables, nous l’avons proposé à l’université de Dijon : chaque partie fera ce qu’il y a à faire ; le tout, c’est que soit conduite une étude sur le suivi de ce qu’on appelle une volumétrie et non pas « une exception féminine ». Comment voulez-vous que nos filles, notre jeunesse que nous aimons réellement, puissent se projeter dans « des exceptions » ? C’est impossible. Nous ne sommes pas des modèles. Au contraire, nous devenons des contre-exemples de l’émancipation des femmes. Il faut qu’il y ait de plus en plus de femmes et non d’exceptions au niveau des directions pour résoudre cette problématique.

« Le deuxième point, c’est la manière dont on aborde la question de l’arrivée des femmes à ces postes. On pourrait s’inspirer des Anglo-Saxons, eux qui ne mêlent aucunement l’affectif au travail et qui voient dans la parité un facteur de performance, alors que, chez nous, nous n’hésitons pas à affirmer que les femmes doivent partir en premier en période de crise. Cela n’a aucune justification. Inversement, parler de compétitivité et de performance parce que l’on implique des femmes au management, alors, cela a du sens. Et c’est pour cela que les quotas doivent être appliqués.

« En 1972, il y avait Mmes Badinter et Gaspard. En 1972, j’avais 20 ans et je me disais : « Qui a raison ? ». Je peux vous dire que Mme Gaspard défendait les quotas et Mme Badinter ne le pouvait pas pour toutes les raisons que l’on sait, de constitution républicaine et d’engagement politique. Qui a eu raison ? Personne, parce que ce n’est pas 30 ans après qu’on doit juger, alors que le monde a changé. Il a changé et on sait bien que les quotas doivent être appliqués. Attention, il faut les appliquer avec la notion de biodégradabilité en tête. Une fois les 40% atteints, on ne sera toujours pas à 50% et pourtant ce sera fini et plus personne n’en parlera, ce qui engendrera un risque de régression. Voilà pourquoi il faut continuer à être vigilant. Voilà pourquoi il y a encore beaucoup à faire. C’est vrai que nous devons œuvrer tous ensemble. Les experts-comptables ont créé une association des femmes diplômées d’expertise comptable administrateurs de sociétés pour y travailler.
« D’ailleurs, un intervenant en a parlé tout à l’heure en posant la question « Où sont les compétences ? » Cette question, en 1972, je l’entendais déjà et c’est pour cela qu’aucune femme ne pouvait être présidente de l’Ordre des experts-comptables. Je me souviens de l’intervention tout à l’heure sur l’estrade d’Isabelle de Kerviler qui prétendait avec raison qu’elle méritait d’être présidente de l’Ordre de Paris, et uniquement Paris Ile-de-France, et je n’oublie pas avoir entendu les remarques et les observations des hommes, ici présents, puisque nous n’étions que deux femmes.
« Certaines disent qu’il ne faut pas être la reine des abeilles et qu’il faut réellement que nous soyons au milieu des hommes pour, comme eux, apporter un management, bien sûr différent du leur. Moi, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous transformer, nous cacher. Je ne sais pas si on naît femme ou si on devient femme. Dans quelle catégorie suis-je ? La reine des abeilles ou la femme modulable ? C’est la seule question à laquelle je ne pourrai pas vous répondre, vous dire dans quelle catégorie je me situe.

Ce que je sais, c’est que je suis dans la pluralité. Il faut bien se battre pour ce qu’on veut parce que moi, je le dis, j’aurais souhaité qu’Isabelle de Kerviler soit la présidente, mais on nous a dit que, finalement, c’était difficile. Il fallait tellement de choses, tellement, tellement, tellement… Que fallait-il faire ? Avoir de l’audace et tenter quelque chose ? Alors qu’ai-je fait, moi, pour réussir puisqu’on parle d’audace ? Eh bien, j’ai changé de camp pour devenir présidente du Conseil Supérieur. Vous vous rendez compte ? Il y avait deux syndicats dans ma profession et j’ai dû en changer pour arriver à mon poste. Alors, les hommes ont dit, et c’est un très beau compliment, « c’est une manœuvrière ! » Vous imaginez ? Oui, je suis une manœuvrière, et je l’assume ! C’est ce qu’il fallait accepter pour devenir présidente du Conseil Supérieur. Et, d’en parler ainsi, c’est la vraie provocation, car en soi, cela n’en était pas, mais pas du tout ! Je l’ai fait parce que je me disais : « Quand on devient président, est-ce qu’on peut changer les choses ? ». Alors, je vous le dis, oui, on peut changer les choses, car le président est le seul qui peut dire oui ou non !
« Alors, Mesdames, il faut que vous soyez présidentes, responsables, directrices, recteurs, pour changer les choses et imaginer que demain être directrice des Hôpitaux de Paris sera la normalité pour une femme. C’est là-dessus que nous devons nous engager et que nous devons être solidaires. C’est pour cela que chacune doit apporter sa contribution.

« Michel Barnier, dans le cadre de ses responsabilités à la Communauté Européenne, a demandé à tout un chacun, dans les fédérations, les syndicats, les organisations patronales et de salariés, ainsi qu’à nous, les experts-comptables, ce qu’était la gouvernance. J’ai demandé à Brigitte Longuet, pour les avocats, et à Dominique de la Garanderie pour les juristes de répondre avec nous.
« Notre réponse fut que la gouvernance passait aussi par la parité. C’est un point essentiel à inscrire au niveau de l’Europe et si, grâce à notre réponse, on a pu ancrer chez Michel Barnier cette idée, alors c’est positif.
« Je peux vous dire que, quand je suis allée voir ce dernier le 5 septembre avec mon alter ego de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes qui parlait quant à lui du livre vert et de l’audit, la première chose qu’il m’a dite, bien avant d’aborder les problèmes d’audit, c’est « merci » et « continuez parce que nous ancrerons au niveau des enjeux de la gouvernance ce point sur la parité des femmes ». Voilà ce que signifie d’œuvrer pour que peu à peu la place des femmes se développe. On creuse notre sillon, on enfonce le clou.

« Le troisième point que je vais aborder et sur lequel je vais terminer, c’est la place de la loi dans tout cela. Il est vrai que, lorsque l’on a ouvert l’association des femmes diplômées d’expertise comptable administrateurs de sociétés, nous savions qu’à la loi Copé -Zimmermann, nous entendrions parler des fameux « 1 700 ». Je m’explique : j’ai osé écrire sur le blog www.femmes-experts-comptables.fr que près de 1 700 femmes diplômées y étaient inscrites, alors qu’il n’y a que 1 300 femmes sur les 4 000 experts-comptables en activité et inscrites à l’Ordre. Nous sommes en train, dans les statuts de l’association, de dire que sont aussi prises en compte les femmes qui sont en exercice salarial.

« En effet, toutes celles qui sont diplômées d’expertise comptable possèdent la même compétence, car c’est le diplôme qui est la compétence. Donc, chaque fois qu’on nous dira « Où est la compétence ? », nous pourrons répondre : « Nous avons une association de femmes diplômées d’expertise comptable administrateurs de sociétés et c’est là que se trouve la compétence ». Qu’elles soient en exercice libéral comme le nôtre – Monique Millot-Pernin qui est mes côtés est comme moi en exercice libéral, tout comme Isabelle de Kerviler – ou pas, elles sont toutes aussi importantes, ces femmes qui sont en exercice salarial, et d’autant plus encore celles qui sont dans le secteur public ! Avec un diplôme unique, nous représentons trois exercices différents. Cette association qui a un an représentera donc à la fois les 1 300 femmes sur 4 000 qui existent en exercice libéral et celles exerçant comme salariées en entreprise ou dans le secteur public.

« Nous réussirons donc là où les hommes n’ont pas réussi dans un Ordre qui s’appelle l’Ordre des experts-comptables et qui ne compte que 19 000 experts-comptables en libéral, sans dénombrer l’exercice salarial et le secteur public. Or, dans tous les pays étrangers, a fortiori anglo-saxons, les Ordres se présentent avec 100 000 experts-comptables inscrits. Là où on est 19 000 en libéral, ils sont 100 000 avec l’exercice salarial et avec le secteur public.
« Alors, si au moins nous pouvions faire avancer cette situation, nous donnerions l’exemple qu’on peut aussi faire passer dans ce que j’appelle des enjeux de gouvernance des enjeux politiques tout court. Nous démontrerions ainsi qu’il existe bien un management féminin puisque c’est notre association qui aura mis en lumière ces enjeux.
« Pour terminer et je m’arrêterai là, je voudrais vous dire quand même que, lorsque l’on est en exercice salarial, on aimerait parfois retourner en exercice libéral. En effet, il y a des âges pour tout, il y a le fait qu’on a élevé des enfants, qu’on a envie de se retrouver aussi dans un cabinet en libéral et pas uniquement pour être son propre patron… C’est avant tout pour ces femmes que nous sommes en train de proposer des passerelles de retour de l’exercice salarial vers l’exercice libéral, ce qu’on a appelé des « Parcours sécurisés professionnels ». Voilà ce que je voulais vous dire en ce qui concerne ces enjeux qui nous concernent, nous les femmes. ».

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