17 novembre 2020 – Peut-on se satisfaire des « bons » résultats de l’index d’égalité salariale ?
J’attire votre attention sur la chronique, parue le 17 novembre 2020, sur le site Internet du mensuel « Alternatives économiques« , sous la plume de Rachel Silvera, Maîtresse de conférence à l’université Paris – Nanterre, spécialiste des questions d’égalité professionnelle en matière de salaires, de temps de travail et d’articulation des temps, d’emploi et de relations professionnelles. Elle revient ici sur les notions de plafond de verre et sur l’index d’égalité des salaires.
Chronique
Une étude de la Confédération européenne des syndicats (CES) montre que de 2010 à 2018, les écarts de salaires horaires entre femmes et hommes ont diminué de 1 %, ce qui signifie qu’au train où vont les choses, les femmes d’Europe devront attendre quatre-vingt-quatre ans pour parvenir à l’égalité des salaires… La situation est pire encore en France : l’écart s’y réduit tellement lentement (0,1 % par an) qu’il faudra plus de mille ans pour y parvenir !
C’est pourquoi Esther Lynch, la secrétaire générale adjointe de la CES, s’alarme de voir reportée la directive européenne sur la transparence salariale, qui prévoit des mesures contraignantes en faveur de l’égalité.
Selon elle, ce report ne s’explique pas seulement par un problème d’agenda de la Commission : c’est une décision prise « sous la pression de militants anti-femmes et anti-égalité ». Et de conclure : « C’est maintenant qu’il faut établir la justice salariale pour toutes les femmes qui, durant la crise du Covid-19, ont œuvré en première ligne en occupant des emplois systématiquement sous-évalués, que ce soit dans le domaine des soins ou du nettoyage. »
Près d’une PME sur deux sans index
Au même moment, Elisabeth Borne déclarait, dans Le Parisien, que « la crise ne doit pas faire passer au second plan la lutte contre les inégalités salariales ». Faisant le point sur l’index égalité, la ministre du Travail souligne que désormais 97 % des entreprises de plus de 1 000 salarié·es se sont dotées d’un index, mais seulement 52 % de celles de 50 à 250 salarié·es. Les services de l’inspection du travail vont contacter, assure-t-elle, les 17 000 entreprises qui n’ont pas respecté cet engagement pour les y inciter.
Surtout, elle est satisfaite du bilan : seules 4 % des entreprises ont désormais une note inférieure à 75/100 contre 17 % un an auparavant. L’égalité est donc en marche ! Vraiment ?
De nombreux biais
Certes, quelques entreprises, qu’elle ose nommer, sont à la traîne comme De Richebourg Propreté (62/100), Socotec Equipements (65/100) ou encore Securitas France (69/100). C’est un bon point que l’index dénonce ces entreprises « non vertueuses » – ou en tout cas qui n’ont pas obtenu une note satisfaisante.
Mais n’oublions pas que l’index est créé par les services RH de ces entreprises, sans faire l’objet d’une évaluation extérieure. Il faut également rappeler les nombreux biais qui ont présidé à la construction même de l’index, que nous avions identifiés dans une tribune du Monde avec Séverine Lemière. Dans les conditions actuelles, il n’est pas difficile d’obtenir une bonne note, même quand les inégalités salariales persistent au sein de l’entreprise.
Il n’est pas difficile d’obtenir une bonne note à l’index d’égalité, même quand les inégalités salariales persistent au sein de l’entreprise
En effet, cet index comprend cinq indicateurs qui se compensent : les écarts salariaux par catégorie professionnelle et âge (40 points sur 100), la part des femmes augmenté·es dans l’année par rapport aux hommes (20 points) ; la part des femmes promu·es (15) ; le nombre de femmes augmentées de retour de congés maternité (15) et enfin la part des femmes dans les dix plus hautes rémunérations (10).
Au total, les entreprises ayant un index inférieur à 75/100 pourraient être sanctionnées au bout de trois ans. Or, dans la grande majorité des cas, les notes des premiers indicateurs sont excellentes et ne révèlent pas d’inégalités salariales…
Une ministre choquée par le plafond de verre
En fait, tout comme sa prédécesseure, Muriel Penicaud, la véritable lutte contre les inégalités salariales, n’intéresse pas Elisabeth Borne. Pour elles, le seul problème est de s’attaquer au « plafond de verre » qui subsiste pour les dirigeants d’entreprise, dans les Codir et les Comex : « Je trouve choquant que 37 % d’entreprises comptent encore moins de deux femmes parmi leurs dix plus hautes rémunérations », indique-t-elle au Parisien. Son objectif est de proposer aux partenaires sociaux un nouvel indicateur couvrant cette question spécifique.
Pourquoi Elisabeth Borne n’est-elle pas « choquée » par des écarts salariaux toujours aussi considérables dans les statistiques publiques (estimés – tout confondu – à 28,7 % dans une étude récente de l’Insee), ni par la dévalorisation systématique des professions mobilisées face au Covid, très largement féminisées ? Pourquoi n’est-elle pas choquée par la précarité et le temps partiel court que subissent de nombreuses femmes ? Peut-on réellement croire que l’égalité salariale ne concerne que les femmes dirigeantes ? Et que le lancement, il y a un an, de cet index a suffi à résoudre le problème ?
La France veut démontrer à l’Europe qu’elle a fait un grand pas en matière de transparence salariale et d’égalité entre les femmes et les hommes grâce à son index égalité. Mais on a fort à parier que si rien ne change les statistiques européennes, qui déjà minimisent les écarts salariaux en ne prenant en compte que les salaires horaires, ne montreront aucune diminution des écarts salariaux pour la France dans les décennies à venir !