L’Intelligence Comptable et Financière : un nouveau territoire pour l’Intelligence Economique

L’Intelligence Economique est une politique publique au service des intérêts des entreprises, assise sur une mutualisation des informations publiques et privées. Il s’agit d’appréhender les forces et faiblesses d’une entreprise en termes de sécurité, de compétitivité et d’influence. La démarche d’identification des risques économiques, juridiques, voire physiques est une démarche organisée. Le contexte dans lequel évoluent les entreprises est caractérisé par la mondialisation et la dématérialisation des échanges, le développement d’une concurrence exacerbée, la multiplication des crises, l’explosion du volume d’informations et une certaine tendance à protéger l’information à valeur ajoutée au sein des organisations. Ce contexte est propice au développement de l’Intelligence Economique.

L’Intelligence Economique consiste avant tout à mettre en place les bons outils et à acquérir les bons réflexes pour collecter de l’information à travers une stratégie de veille. L’information est ensuite analysée et transformée en connaissance, puis valorisée, pour enfin être diffusée éventuellement au sein de l’entreprise ou auprès de son environnement fonctionnel.

Définition

Par définition, l’Intelligence Economique recouvre donc :

  1. l’anticipation grâce à la veille qui peut prendre différentes formes (environnementale, juridique, concurrentielle, technologique, commerciale, comptable et financière), mais qui est toujours au service d’une stratégie,
  2. la protection de l’information et de manière plus large de l’ensemble des savoir-faire et des actifs stratégiques appartenant à une organisation (dépôts à l’INPI, mise en place de contrats d’assurance spécifiques, sécurisation des systèmes d’information, …),
  3. le lobbying et la communication d’influence, si nécessaire.

Démarche

Concrètement toute démarche d’Intelligence Economique se traduit par la mise en place d’actions qui s’intègrent dans une démarche organisée :

  • définir les besoins en information en fonction de la stratégie de l’entité économique concernée, afin de dégager des priorités et de fixer en conséquence des orientations en matière de recherche d’informations,
  • trier l’information disponible dans l’entreprise. On est parfois surpris de constater la richesse que l’on a sous la main,
  • collecter l’information ouverte en utilisant des outils de veille adaptés qui vont permettre de ne retenir que l’information pertinente,
  • prendre en compte l’information informelle qui est souvent celle qui offre la plus grande plus-value à l’entreprise à travers un travail de réseau et de terrain,
  • hiérarchiser et traiter l’information recueillie en s’appuyant sur des outils de traitement de l’information et en consultant des experts des domaines traités, notamment les experts-comptables. On rappelle que la comptabilité générale est d’abord une structure d’informations de système (le système de l’entreprise),
  • diffuser l’information à la bonne personne, au bon moment et sous sa forme la plus appropriée, en mettant en place un schéma de circulation de l’information et en instaurant une culture de l’échange au sein de l’entreprise qui permette d’éviter la déperdition et la stérilisation de l’information,
  • protéger les données sensibles, les savoir-faire et tous les actifs stratégiques en mettant en place des mesures informatiques, organisationnelles, humaines et juridiques adéquates,
  • influer sur l’environnement à travers des actions de lobbying, en utilisant l’information comme levier d’action permettant de promouvoir ses intérêts dans un cadre légal,
  • obtenir l’adhésion de tous et mettre en place des dispositifs permettant de partager les informations au sein d’une organisation à la fois selon un axe hiérarchique vertical mais également de manière transversale, l’intelligence économique est, à cet égard, un vecteur de culture d’entreprise.

Deux volets : offensif et défensif

Dans le cadre de ce contexte, les acteurs économiques ont rapidement pris conscience du fait que les instruments de pilotage traditionnels devaient être complétés par le développement de nouveaux outils ; ils savent qu’une bonne information ne suffit plus et qu’il est devenu stratégique pour eux de pouvoir être informés avant les autres. Au-delà de cette démarche offensive qui permet à toute organisation de saisir des opportunités, d’imaginer les tendances ou encore d’anticiper sur la concurrence, il existe également une approche défensive de l’Intelligence Economique qui consiste à mettre en place des actions concrètes et efficaces ainsi qu’un certain nombre d’alertes permettant de protéger les informations et les actifs stratégiques. Concrètement ce volet défensif passe par la détection et la hiérarchisation des risques (contrefaçon de produits, risques juridiques, risques comptables, risques fiscaux, risques environnementaux…), l’identification de menaces potentielles, la classification des informations en fonction des risques et des préjudices potentiels, l’enregistrement des dysfonctionnements, l’évaluation régulière des dispositifs de sécurité ainsi que la mise en place de solutions permettant de faire face aux difficultés rencontrées, l’audit et la maintenance de la matrice des risques et des solutions, l’élaboration de plans de crise déduits de la matrice.

Si elle est incontournable, il est à noter que le fait de trop se concentrer sur la seule dimension défensive de l’Intelligence Economique peut s’avérer contreproductif. En effet, à ne parler que de dangers, une organisation risque fort de se refermer sur elle-même et de rigidifier ses comportements, alors même que son avenir repose sur sa capacité à s’adapter à un contexte en constante évolution.

Les PME sont aussi concernées par l’Intelligence Economique

L’Intelligence Economique concerne toute personne à la tête d’une organisation publique, privée ou associative, tout dirigeant d’entreprise, d’organisme, d’administration, quelle que soit la taille et l’activité de ceux-ci. Pourtant, il est à noter qu’elle est encore trop souvent le fait de grands groupes. Dans ce contexte, les experts-comptables ont un rôle à jouer pour encourager son développement dans les PME, dont les enjeux en matière de création de richesses et d’emplois sont connus.

Il est intéressant de souligner qu’en terme de méthode l’Intelligence Economique consiste à être une démarche pluridisciplinaire dans la mesure où l’analyse d’informations nécessite à la fois des compétences environnementales, juridiques, techniques, économiques, commerciales, comptables et financières. La prise de conscience progressive de la nécessaire implication de tous les acteurs économiques conforte le rôle des experts-comptables sur le sujet, notamment dans le cadre de l’extension de l’Intelligence Economique à de nouveaux territoires tels que l’Intelligence Comptable et Financière.

Une politique publique de l’Etat pour un soutien des PME stratégiques avec un service dédié

L’apparition du concept d’Intelligence Comptable et Financière est justifiée par la politique publique de l’Etat qui souhaite s’assurer du maintien, dans son patrimoine, d’un certain nombre d’entreprises stratégiques.

Il est à noter que la vulnérabilité des entreprises françaises est une problématique d’actualité dans notre pays. A ce titre, les pouvoirs publics et notamment le Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi ainsi que le Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique souhaitent que les experts-comptables se mobilisent pour identifier les points de faiblesse des entreprises et apporter des solutions, en partenariat avec les administrations concernées. Il existe, à cet égard, au sein du MINEFE, un service de conseil, le service de Coordination Ministérielle à l’Intelligence Économique, dirigé par Cyril Bouyeure, et localisé à Bercy.

Les Experts-Comptables s’inscrivent dans l’Intelligence Economique auprès des PME

  • Les experts-comptables sont directement concernés par l’Intelligence Economique. Tout d’abord, ils ont besoin de mieux gérer leurs propres informations et de protéger celles qui ont un caractère stratégique. Ils doivent également gérer et protéger les informations qu’ils détiennent sur leurs clients. Il est à noter que les experts-comptables ont un rôle fondamental à jouer auprès de leurs clients pour leur expliquer les enjeux liés à l’Intelligence Economique. Enfin, leurs compétences dans le domaine de la gestion des informations comptables et financières des entreprises leur donne une totale légitimité pour développer le nouveau champ de l’Intelligence Comptable et Financière.
  • Les experts-comptables sont les principaux acteurs de la veille comptable et financière. Ils captent, interprètent et diffusent les informations. Ils préconisent l’utilisation d’outils de veille par les entreprises. Enfin, ils développent des indicateurs et des grilles de lecture qui permettent aux entreprises de maîtriser l’ensemble de leurs informations comptables et financières.

Au niveau de la protection et de la sécurisation de l’information, des savoir-faire et des actifs stratégiques, les experts-comptables fournissent aux PME, entre autres, de l’information sur la propriété industrielle afin de les aider notamment à lutter contre la contrefaçon ; ils les accompagnent dans le dépôt des marques, brevets et dessins. Ils conseillent les entrepreneurs sur les assurances les plus adaptées aux risques encourus par les entreprises (activité, actifs et personnes), sensibilisent les PME à l’importance de la sécurisation des échanges de données via les systèmes d’information et informent les entreprises sur les contextes internationaux et monétaires où se déroule leur activité internationale.

Enfin en matière de lobbying, les experts-comptables aident les entrepreneurs à influer sur leur environnement ainsi que sur celui de leur entreprise et agissent sur les règlementations, notamment fiscales et sociales.

L’Intelligence Comptable et Financière au sein de l’Intelligence Economique pour les entreprises et pour les tiers.

L’Intelligence Comptable et Financière est stratégique pour les chefs d’entreprises pour protéger leur patrimoine et pour développer leur activité. Ils sont accompagnés dans cette démarche par les experts comptables. Dès lors que l’entreprise doit rendre compte à des tiers de sa solidité financière, les lecteurs de comptes doivent être capables, en toute objectivité, de présenter une lecture et un commentaire de la situation bilantielle et financière de l’entreprise.

Pour les entreprises : un plan de compte intelligent

  • Les experts-comptables doivent être en mesure de détecter de façon organisée les faiblesses d’une entreprise et par conséquent de réduire les risques auxquels elle est exposée à travers l’identification et la mise en place d’alertes professionnelles établies à partir notamment du plan de comptes. Il est pertinent de construire des alertes sur la base des comptes dès lors que ceux-ci peuvent être utilisés pour l’analyse des risques. Le plan de comptes, applicable à toutes les entreprises pour enregistrer les opérations comptables ne doit plus être appréhendé comme un outil statique mais comme un outil de veille intelligent, autrement dit comme un outil opérationnel d’abord et décisionnel ensuite. Les experts-comptables font un travail qui va permettre de mettre en place une cartographie des risques adaptée aux caractéristiques de l’entreprise (secteur d’activité, taille, mode d’organisation, …).
  • Ils sont en mesure de faire une analyse critique du compte Assurance en fonction de la nature des risques couverts. Ils vont notamment mettre en regard le compte Assurance soit avec d’autres données du plan de comptes tels que le montant des actifs à protéger ou encore les disponibilités, soit avec l’analyse des risques tant commerciaux qu’industriels ou financiers. Ils vont analyser les flux physiques et financiers qui vont devenir en tant que tels une base d’informations. Enfin, ils déterminent un seuil d’alerte propre à l’entreprise, tout en respectant les conditions incluses dans les principaux contrats de l’entreprise.
  • Les experts-comptables sont également amenés à faire une analyse dynamique de la paie et des charges sociales. Pour se faire, ils mettent en place des outils permettant d’extraire de la paie des informations à caractère économique et stratégique (alerte pour la transmission de l’entreprise à partir de l’âge du dirigeant, simulation de retraite et mise en place de dispositifs par capitalisation qui participent à la fidélisation et au développement d’un dialogue social).

En synthèse, l’Intelligence Comptable et Financière consiste, pour une entreprise, à recourir au plan de comptes pour identifier ses failles à travers un dispositif de veille, couvrir ses risques à travers un dispositif de sécurisation et faire preuve d’innovation et d’initiative dans son secteur. La dimension défensive peut être exprimée à travers une grille d’analyse du plan comptable destinée à protéger une entreprise en cas de vulnérabilité. La dimension offensive peut quant à elle être analysée comme étant la capacité à mettre en place des actions concrètes à partir de l’élaboration d’une série d’indicateurs au niveau du plan comptable de l’entreprise ; la pertinence de ces indicateurs étant mesurée par leur capacité à appréhender l’ensemble des risques prévisibles et opportunités qui peuvent s’offrir à l’entreprise.

Pour les tiers, les facteurs de vulnérabilité qui ressortent des comptes annuels

Les lecteurs de comptes sont, enfin, en mesure d’appréhender la vulnérabilité d’une entreprise à partir de l’analyse des comptes annuels et de leur évolution dans le temps.

Il peut s’agir de banquiers, d’actionnaires, d’assureurs crédit ou encore de fournisseurs qui ont besoin d’être sécurisés sur la solidité financière des entreprises à travers la qualité de l’information financière inscrite dans les comptes annuels. Il peut également s’agir des pouvoirs publics, qui souhaitent soutenir des activités stratégiques et qui ont besoin d’appréhender les critères de vulnérabilité des entreprises afin de leur apporter leur soutien. Les experts-comptables ont alors une action complémentaire à celle des commissaires aux comptes et de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Ils peuvent fournir aux pouvoirs publics une analyse tant de haut de bilan que de bas de bilan alors que ces derniers disposent à ce jour de peu d’analyses orientées vers la protection des actifs stratégiques.

Cette approche leur permet d’appréhender la fragilité d’une entreprise à travers notamment une éventuelle insuffisance de sa capitalisation au regard de sa stratégie de développement et de ses investissements en R&D, à travers une dépendance à l’égard d’un tiers (banquier, fournisseur, client, partenaire) ou encore une répartition de capital égalitaire pouvant générer un blocage. Les experts-comptables vont être en mesure de donner aux pouvoirs publics des informations relatives au positionnement d’une entreprise par rapport à ses concurrents, en partenariat notamment avec les organismes consulaires et la Banque de France. Ils vont également pouvoir leur communiquer des informations de dépendance potentielle par rapport aux tiers. Ces informations sont stratégiques dès lors que les concurrents et les tiers que sont les investisseurs peuvent pour certains être dans une stratégie de prédateur.

L’expert-comptable est le premier maillon de la chaîne de l’expertise. Il identifie les risques premiers : comptables, juridiques et financiers. Il s’intègre, et il l’a bien compris, dans un champ d’analyse systémique, car l’entreprise est, ni plus, ni moins, qu’un micro-système économique soumis aux aléas et aux risques de son environnement fonctionnel.

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